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Relations commerciales avec l'Afrique au Moyen Âge

Montpellier-Alexandrie

Alexandrie : au carrefour des échanges entre Orient et Occident au Moyen Âge 

 

Montpellier et l’Afrique du Nord entretiennent d’importantes relations commerciales au Moyen Âge. Dans la seconde moitié du XIIe siècle, le rabbin voyageur Benjamin de Tudèle signale la présence de marchands égyptiens dans la ville du Mont. A partir du XIIIe siècle, si les marchands montpelliérains fréquentent les ports du Maghreb et en particulier celui de Ceuta, c’est avec Alexandrie que les échanges sont les plus intenses, jusqu’à la fin du XVe siècle.

 

Armes de Montpellier. Le blason des Guilhem peut être interprété comme un soleil, symbole de l’attrait des Montpelliérains pour l’outre-mer. AdM, AA 1, cartulaire des Guilhem de Montpellier, fol. 10 v°, détail enluminure, 1443.

Une histoire de commerce et de diplomatie

Les Montpelliérains passent d’abord par l’intermédiaire des Pisans et des Marseillais pour s’installer dans le port égyptien, puis, en tant que sujets du roi d’Aragon, ils bénéficient de la diplomatie barcelonaise qui les protègent des désagréments de la politique agressive du roi de France en Afrique du Nord. Ils disposent d’un fondouk dans la ville, comptoir commercial réservé aux négociants étrangers chrétiens. Ils apportent du Languedoc draps, métaux précieux (surtout l’argent) et objets d’orfèvrerie, et achètent matières premières et produits d’épicerie, que ce soit pour la fabrication de tissus (coton, alun, teintures) que pour la confection de produits pharmaceutiques par les apothicaires montpelliérains.

 

Archives de Montpellier, EE 289

Mention du sucre rosat d’Alexandrie dans une lettre de commande à l’épicier montpelliérain Nicolas Vezian pour les foires de Champagne. AdM, EE 289, détail, s.d. [XIIIe s.]

 

Le sucre rosat d’Alexandrie, sucre raffiné à l’eau de rose, est très réputé à l’époque. Ces marchandises sont ensuite redistribuées depuis Montpellier dans toute l’Europe, via les grandes foires de Champagne et de France. 

 

On ne conserve pas de traités commerciaux entre Montpellier et Alexandrie, mais les attestations de la présence de marchands montpelliérains à Alexandrie entre le XIIIe et le XVe siècles sont nombreuses.

1264 : Jacques Ier d’Aragon impose son autorité aux marchands montpelliérains

Archives de Montpellier, Louvet 4247

Lettre de rémission du roi Jacques Ier aux marchands montpelliérains d’Alexandrie qui avaient nié sa juridiction. AdM, Louvet 4247, parchemin et cire, 1264.

 

Depuis le début du XIIIe siècle, les Montpelliérains ont pris l’habitude de mener librement leurs affaires commerciales extérieures sans le décret de leur seigneur, à l’instar des villes italiennes et provençales. Montpellier se comporte en cité-état indépendante. Son économie est florissante, ses marchands poivriers sillonnent la Méditerranée et ses riches patriciens s’improvisent diplomates. Ainsi, Raimond de Conques, qui appartient à la plus puissante famille bourgeoise de la ville, négocie en 1236 les privilèges avec le roi de Chypre. Il apparaît également comme l’homme fort des Montpelliérains à Alexandrie, et a pu traiter directement avec le nouveau sultan mamelouk du Caire.

 

Cependant, le roi Jacques Ier d’Aragon, seigneur de Montpellier, n’entend rien céder sur ses prérogatives régaliennes. Raimond de Conques est châtié, semble-t-il, pour avoir contesté son autorité (dominium). Par cette charte scellée de son grand sceau, Jacques Ier accorde son pardon aux marchands montpelliérains qui étaient alors présents à Alexandrie, les absout de toute faute et abandonne toute poursuite à leur égard. 

1303 : un tremblement de terre détruit le phare d’Alexandrie

Archives de Montpellier, AA 9

Annales consulaires de 1304. Note marginale évoquant le tremblement de terre et l’effondrement du phare d’Alexandrie. AdM, AA 9, Petit Thalamus, fol. 83.

 

Le phare d’Alexandrie, une des sept merveilles du monde, est la porte d’entrée de l’Afrique pour les navires abordant les côtes égyptiennes. Le monument des Ptolémée a traversé les siècles jusqu’au milieu du Moyen Âge, malgré les dommages du temps. Il marque encore assez les esprits des marchands montpelliérains, pour que l’annonce de sa destruction aient un retentissement dans la ville.

 

Ainsi, les consuls l’inscrivent dans la liste des avenimens, événements historiques mémorables consignés dans plusieurs manuscrits. Dans le Petit Thalamus des Archives municipales, les annales de 1304 évoquent ainsi l’effondrement du phare d’Alexandrie : « A VIII d’aost, fo gran terratremol en Alixandria per que tombet lo far et ben lo ters de la vila » (Le 8 août, il y eut à Alexandrie un grand tremblement de terre qui fit tomber le phare et près du tiers de la ville). Ce violent tremblement de terre se produisit en réalité le 7 août 1303 et ravagea la Crète. Il provoqua un tsunami qui fit en partie écrouler le phare d’Alexandrie. Le monument ne sera pas relevé de ses ruines et sera définitivement rasé au XVe siècle.

1366 : le pape Urbain V relance le commerce avec Alexandrie

Archives de Montpellier, Louvet 2799

Bulle du pape Urbain V donnant privilège aux marchands montpelliérains de six bateaux pour commercer avec Alexandrie. AdM, Louvet 2799, parchemin et plomb, 1366.

 

Au cours du XIVe siècle, les relations commerciales avec Alexandrie déclinent. La chute de Saint-Jean-d’Acre en 1291 et la fin des Etats latins d’Orient entrainent plusieurs interdictions papales de commercer avec les Musulmans. Le commerce avec le Levant étant essentiel pour l’économie de la ville, les Montpelliérains se tournent alors vers les royaumes chrétiens de Chypre et de Petite Arménie. Puis la grande peste de 1348 vient perturber les échanges.

 

Alors que Chypre et la Petite Arménie se trouvent en grande difficulté, les marchands montpelliérains supplient le pape Urbain V de les autoriser à reprendre le négoce avec « Alexandrie et les terres d’outre-mer qui sont détenues par le sultan de Babylone ». Urbain V, bienfaiteur de Montpellier, accède à leur requête, à raison d’un navire tous les ans pendant six ans, à condition de ne pas vendre armes, objets en fer ou en bois et autres choses prohibées. Cette timide reprise du trafic va permettre de redynamiser les échanges entre Montpellier et Alexandrie.

1400 : Jean Fournier, consul des marchands montpelliérains à Alexandrie

Archives de Montpellier, Louvet 256

Minute de la lettre des consuls de Montpellier aux gouverneurs et officiers de justice d’Alexandrie les informant de la désignation de Jean Fournier comme consul des marchands montpelliérains. AdM, Louvet 256, papier, 1400.

 

A partir des années 1380, grâce au relâchement de la pression des Génois, le trafic commercial s’intensifie à nouveau entre Montpellier et Alexandrie. De nombreux marchands montpelliérains s’installent en Egypte. Les villes du Midi de la France sont représentées chacune dans les fondouks par un consul. Le consul est là pour faciliter les transactions et régler les contentieux en matière commerciale. Il est l’interlocuteur de la communauté avec les autorités musulmanes et les autres communautés de marchands.

 

Ainsi en 1400, les consuls de Montpellier nomment un certain Jean Fournier, consul des marchands à Alexandrie. Homme influent, Jean Fournier représente également les Avignonnais, et en 1404, il est désigné consul de France. Représentant des Languedociens et des Provençaux, le consul de France est sensé faire le poids face à l’hégémonie des Génois et des Vénitiens. Humilié par le consul de Gênes, Jean Fournier se retrouve en 1405 au centre d’une affaire qui place les Méridionaux en position délicate par rapport au sultan.

 

A partir de cette date, la présence des Montpelliérains à Alexandrie décline à nouveau. Malgré l’épisode Jacques Cœur qui relance l’activité économique vers 1440, les marchands Montpelliérains abandonnent définitivement le commerce avec le Levant après une ultime tentative en 1472.

Bibliographie

Alexandre Germain, Histoire du commerce de Montpellier, Montpellier, 1861.

 

Bernard Doumerc, « Les marchands du Midi à Alexandrie au XVe siècle », Annales du Midi, 171, 1985, p. 269-284.

 

Bernard Doumerc, « Montpelliérains et Vénitiens sur les routes de l’Orient (XIVe-XVe siècles) », in Fabre/Le Blévec/Menjot, Les ports et la navigation en Méditerranée au Moyen Âge, Montpellier, 2009, p. 43-61.

 

Équipe projet Thalamus, Édition critique numérique du manuscrit AA9 des Archives municipales de Montpellier dit Le Petit Thalamus. Université Paul Valéry Montpellier-III, 2014-.... En ligne : http://thalamus.huma-num.fr/

 

Xavier Bach, « Le commerce des produits pharmaceutiques à travers une lettre de commande à un épicier-apothicaire montpelliérain en occitan (v. 1250) », Bulletin historique de la Ville de Montpellier, 42, 2020, p. 46-57.